Haute Fidélité, Janvier 2002

TECHNIQUE

ENCEINTES

OCELLIA KEDROS 2 SILVER

Figure
libre


Acoustique et Lutherie propose depuis environ trois ans une approche radicalement originale, en appliquant aux enceintes des techniques comparables à celles des instruments de musique. L’idée est facile à comprendre, et si elle est rarement mise en oeuvre c’est parce qu’elle est extrêmement exigeante. Une enceinte conçue selon ce principe ne dessine pas sur un coin de table ni même avec un ordinateur. Elle nécessite une longue mise au point, dans laquelle la culture musicale du concepteur joue un rôle prépondérant. En effet, pour réussir des enceintes comme les Kedros, il faut être capable de mener un long processus empirique qui consiste à essayer des solutions et à juger du résultat à l’écoute, pour progresser petit à petit vers une solution optimale, qui ne peut que très difficilement se définir a priori sur le papier. C’est un petit jeu auquel se livrent volontiers les amateurs qui passent leurs week-ends à mettre au point des gros systèmes savamment bricolés, mais c’est beaucoup plus difficile à insérer dans le contexte froidement rationnel et économique d’une entreprise qui doit bien finir par rentabiliser tout le temps et l’argent consacré à la construction et au test d’une kyrielle de prototypes. Voici en quelques mots les principes sur lesquels repose la conception des Ocellia en général et des Kedros en particulier. Les vibrations parasites du coffret sont l’un des principaux problèmes que doit affronter tout constructeur d’enceinte. La très grande majorité d’entre eux s’attaque au problème en luttant de front contre les vibrations : les enceintes sont construites avec des parois lourdes et rigides et elles sont bourrées de matériaux amortissants. Inconvénients : rigidifier les parois déplace les fréquences de résonance vers le haut, dans des régions du spectre où elles sont finalement plus gênantes, l’accumulation de matériaux amortissants fini par amortir aussi la musique elle-même, et l’alourdissement de l’ensemble augmente la quantité d’énergie que l’enceinte est capable de stocker, et de restituer à mauvais escient. La principale originalité des enceintes Ocellia est dans la façon de gérer ces vibrations : au lieu d’alourdir l’enceinte, on va plutôt l’alléger pour qu’elle stocke un minimum d’énergie, avec un minimum de traînage. Et le peu d’énergie qui restera, on ne va pas l’étouffer à tout prix mais plutôt chercher à l’utiliser en faisant en sorte que le coffret sonne de manière harmonieuse. Voilà ce qui nous ramène au nom de l’entreprise qui construit les Ocellia : Acoustique et Lutherie. Le principe de construction des Ocellia les apparente en effet à des instruments de la famille des cordes, dans lesquels un coffret vient renforcer et enrichir le son produit par des cordes frottées ou pincées. La différence entre les Kedros et les autres enceintes du commerce n’est pas seulement conceptuelle : elle se voit. D’abord l’enceinte est extrêmement légère. En fait presque tout le poids est dans le haut-parleur, qui est très lourd, lui. On a l’impression que le reste ne pèse rien. De fait, les parois de l’enceinte, en panneaux d’épicéa (le même bois que pour les instruments de musique) sont extrêmement fines (4 mm). En revanche la structure périphérique, et aussi la paroi supérieure de l’enceinte (en hêtre), sont rigides mais sans excès de poids car l’ensemble reste très léger. Il y aussi de multiples renforts, qui peuvent rappeler le rôle tenu par l’âme dans les instruments à corde. Enfin, les Kedros n’ont pas de «plancher» et sont généreusement aérées par trois évents situés à la base de l’enceinte : deux sur les faces latérales et un sur la face arrière, avec un volet réglable qui permet d’adapter l’équilibre sonore des enceintes à la pièce, au reste du système d’écoute et au goût de l’auditeur. La taille de ces ouvertures laisse penser que le coffret fonctionne plus comme un baffle plan replié que comme une enceinte close ou même bass-reflex. Enfin, mais ça c’est plus classique, l’enceinte n’est pas un parallélépipède parfait pour éviter la formation d’ondes stationnaires : la face avant est légèrement inclinée et les parois latérales vont en s’écartant vers l’arrière. Le sommet est horizontal, mais comme il n’y a pas de plancher, il n’y a finalement aucune paroi parallèle. La qualité de l’ébénisterie est franchement exceptionnelle : bois magnifique, assemblage parfaitement ajusté, ponçage minutieux et vernis impeccables (il s’agit d’un verni comparable à ceux qu’utilisent les luthiers). Ce coffret si particulier aura donc un comportement tout à fait original par rapport à la musique produite par le haut-parleur : il va vibrer plus, certainement. On s’en rend compte quand on pose la main dessus. Mais il vibre moins longtemps (grâce à sa légèreté), et les vibrations, mieux réparties sur la bande passante, forme avec les sons directs émis par les haut-parleurs un ensemble équilibré.
Dernière caractéristique, qui illustre bien le caractère exceptionnel des Kedros : le coffret ne contient aucun amortissant.  Oui, vous avez bien lu : pas d’amortissant du tout. C’est possible parce que les bois, les colles, les assemblages, les renforts, la forme, le vernis, et bien sûr le haut-parleur, tout a été conçu, essayé et construit pour que la musique soit belle. Alors voilà, il n’y a plus besoin d’amortissant. Et ça s’entend, parce que l’amortissant n’étouffe pas seulement les résonances nuisibles. Il étouffe la musique, tout simplement. Une enceinte Ocellia, c’est donc une philosophie entièrement différente : l’enceinte participe à la musique, alors que chez tous les autres constructeurs elle n’est qu’un objet passif, dont on cherche simplement à limiter les défauts, considérés comme inévitables. Le haut-parleur qui a été choisi par Acoustique et Lutherie pour les Kedros n’est pas non plus le premier venu. Il s’agit du 30 cm coaxial de Phy-HP. C’est probablement le haut-parleur le plus cher du marché. Ce n’est pas une qualité en soi mais cela vous donne une idée du niveau d’ambition des Kedros. Il s’agit d’un produit tout à fait unique, qui réuni un 30 cm large bande avec un tweeter piézo-électrique placé en position coaxiale. C’est tellement original que l’on pourrait croire que son concepteur a recherché l’originalité à tout prix. En fait, tout s’enchaîne très logiquement : Phy-HP a toujours fait le choix du large bande, et le premier modèle, un 21 cm a été conçu pour fonctionner tout seul. D’un point de vue philosophique, le choix du large-bande est assez cohérent avec l’esprit qui a présidé à la conception des Kedros : faire un large-bande, c’est extrêmement difficile, mais quand ça marche, quelle merveilleuse musique ! Passer à 30 cm permet d’augmenter sympathiquement le niveau dans le grave, mais il est plus difficile de monter dans l’aigu avec une membrane de cette taille. D’où la nécessité d’ajouter un tweeter. Malheureusement, le mariage d’un tweeter avec un large-bande est l’un des plus horribles casse-tête de l’histoire de la haute fidélité. En effet, les large bandes ont en général une impédance très élevée dans l’aigu (celle du Phy monte à 30 Ohms), de sorte que le branchement d’un tweeter normal, avec une impédance de l’ordre de 8 Ohms, même s’il est vigoureusement filtré, a pour effet de court-circuiter le large-bande et de détruire toutes ses qualités, comme s’il était lui-même filtré. L’avantage du piézo-électrique, c’est que son impédance est à la base de l’ordre de 100 Ohms… Donc le mariage est possible. Comme tous les haut-parleurs Phy, le 30 cm coaxial est un produit extrêmement traditionnel, dans le meilleur sens du terme. Il aurait pu être construit tel quel il y a un demi-siècle parce qu’il ne contient absolument aucune innovation technologique : saladier en bronze, membrane papier non-traité à suspension à petit pli, aimant surpuissant en Alnico, entrefer très étroit, bobine en fil d’argent isolé par de la soie (ce dernier point étant une nouveauté apparue sur les modèles récents). Chaque élément pris séparément ne présente aucune originalité ni innovation majeure, mais ce haut-parleur concentre tout le savoir-faire accumulé dans le domaine du large-bande par tous les constructeurs de monde depuis cinquante ans et plus, et finalement il n’a absolument aucun concurrent. Le 30 cm est installé dans l’enceinte sans aucun filtrage, par définition, le filtrage du tweeter étant intégré dans le haut-parleur lui-même. C’est d’ailleurs une vision assez saisissante que de voir les câbles filer directement du bornier vers le haut-parleur. Le câblage est réalisé avec du câble Phy-HP, un monofil en cuivre de forte section, plaqué argent et isolé par une gaine en coton. Le bornier, à quatre fiches pour permettre le bi-câblage, est plaqué argent. Il n’accepte que les fiches bananes. La finition peut-être adaptée à la demande par le biais de la coloration du vernis. Puisqu’il s’agit d’un vernis de luthier, les Kedros peuvent logiquement prendre toutes les couleurs que l’on connaît aux instruments de musique : de la couleur naturelle du bois (qui est joliment doré) jusqu’aux rouges et aux bruns sombres que l’on peut voir dans les orchestres. Les dimensions globales, sans être de la plus grande discrétion, restent tout de même acceptables du point de vue de leur installation dans le salon d’un mélomane qui serait prêt, par définition, à accorder à la musique une place importante dans sa vie, au sens propre et au sens figuré.

Ecoute

Cette écoute avait une signification particulière puisque possèdant depuis trois ans une paire de haut-parleurs Phy-HP 30 cm coaxial. Je les ai montés dans des caisses construites sur des principes diamétralement opposés à ceux qui ont présidé à la conception des Kedros. En effet ces caisses sont faites d’un sandwich contreplaqué "goudron plombé" contreplaqué extrêmement lourd, et elles sont bourrées d’amortissants de toutes sortes. A priori, l’arrivée d’une enceinte qui prend aussi manifestement le contre-pied de ce montage avait tout pour surprendre. En fait, j’ai été obligé de reconnaître avec humilité qu’il y a une différence audible (c’est un euphémisme) entre mon bricolage personnel et ces enceintes réalisées dans les règles de l’art par de vrais professionnels. Et le plaisir que j’ai pu retirer de cette écoute a largement compensé cette petite blessure d’amour propre. Les auditeurs qui sont habitués à des produits plus normaux sont en général déroutés, à la première écoute, par des enceintes comme les Kedros. Ils font des commentaires du genre «il n’y a pas de grave» ou «il n’y a pas d’aigu». Il ne faut surtout pas s’arrêter à cette première impression. En fait, elle ne fait que refléter la différence de philosophie et d’ambition qui sépare les Kedros du reste de la production. Prenons le problème sous un autre angle. Après une écoute avec la première paire de câbles que j’avais pu attraper, le rédacteur en chef de Haute Fidélité me propose un autre câble qui, selon lui, devrait donner de meilleurs résultats. J’ai toujours été très sceptique sur l’influence des câbles sur un système d’écoute, mais là, stupeur : rien à voir ! Comme si on avait complètement changé de système. Donc il y a au moins une évidence : les Kedros sont «transparentes». Le moindre changement dans les éléments qui sont placés en amont s’entend. Conséquence inévitable : elles sont extrêmement sensibles à la qualité des électroniques qu’on leur associe. Comme elles ne sont évidemment pas exigeantes du tout en matière de puissance (haut rendement et impédance élevée : du gâteau pour les amplificateurs), les triodes feront bien sûr parfaitement l’affaire, mais les tubes en général et des petits amplificateurs à transistors, judicieusement choisis, peuvent aussi convenir. Cette transparence devrait d’ailleurs faire réfléchir ceux qui ne parlent que de grave et de l’aigu. Est-ce que la transparence des Kedros n’est pas la conséquence directe du fait qu’elles ne rajoutent absolument pas de grave ni d’aigu ? En fait, du grave, il y en a, et même beaucoup si le disque en contient. Il suffit de percevoir l’ampleur gigantesque de la scène sonore quand la musique est enregistrée dans une église ou dans une grande salle de concert. Et l’aigu, il est bien là, mais tellement bien intégré qu’on ne «l’entend» pas. Quand on le cherche, on arrive pas à l’isoler, et c’est tellement rare en haute fidélité que l’on a du mal à s’y habituer. Certains seront même frustrés : il est vrai que déguster un aigu bien pétillant peut être considéré comme un des plaisirs de la haute fidélité. Mais est-ce que la musique y gagne ? Ceux qui sont habitués au concert savent que non, et ils reconnaîtront dans le son des Kedros une des plus parfaites imitations du concert qu’il soit actuellement possible de trouver sous la forme d’un produit fini disponible dans le commerce. Les deux domaines dans lesquels ces enceintes hors du commun m’ont donné le plus de plaisir sont la vérité charnelle des timbres et le réalisme de la scène sonore. Les timbres ont une consistance extraordinaire, avec un côté «matériel» tout à fait étonnant : on entend vraiment le bois, le crin, le métal… pas seulement des notes. En cela, les Kedros s’approchent des meilleurs gros systèmes à pavillon, autrement plus encombrants, et que vous ne trouverez pas tels quels sur le marché. Par l’ampleur et le réalisme de la scène sonore aussi, les Kedros creusent l’écart avec une éventuelle concurrence. La scène musicale se déploie avec un réalisme stupéfiant en arrière des enceintes. Quand on ferme les yeux l’effet est saisissant, et quand on les rouvre, on a l’impression de voir «tomber» le mur de la pièce comme un rideau sur les musiciens qui étaient là un instant auparavant. Cette qualité de l’espace sonore est intimement liée à la discrétion de l’aigu. Quand l’aigu est trop présent il reste «collé» au tweeter et ce sont les tweeters qui déterminent la position des sources sonores, au détriment de toute profondeur.

Olivier Corton

Verdict
Les Ocellia Kedros réalisent le tour de force de proposer, sous un encombrement et pour un prix encore raisonnable, des qualités musicales qui étaient réservées jusqu’à présent à de très gros systèmes à pavillons bricolés par des passionnés et introuvables dans le commerce. Sans rien de révolutionnaire, elles concentrent pourtant une série d’originalités soigneusement sélectionnées dans la meilleure tradition de la haute fidélité, et surtout elles sont le fruit du savoir-faire sans équivalent de leur constructeur. Oubliez le prix : en fait c’est un achat très économique, parce qu’une fois que vous les aurez vous ne trouverez rien de mieux pour les remplacer avant un bon demi-siècle.